GenAmi 

  Nous contacter
  English
L'association de la généalogie juive 
Facebook




Bienvenue chez nos cousins de Cuba

Par Gérard XAVIER


 1_ Carte de Cuba

Carte de Cuba

L’arrivée des Juifs à Cuba, de la fin du XVe siècle au milieu du XVIIIe

En 1492, les Juifs sont expulsés d’Espagne. Cette mesure concerne aussi les Marranes, Juifs convertis au christianisme. Plus de deux cents mille fuient, beaucoup au Portugal. D’autres choisissent l’aventure vers le "Nouveau Monde" en embarquant avec Christophe Colomb ou, plus tard, en accompagnant des hommes comme Sebastián de Ocampo ou Hernán Cortés.
Luís de Torres, compagnon de Colomb, est le premier propriétaire terrien juif à Cuba. Mais durant plusieurs décennies, le nombre de familles juives réparties sur l’ensemble de l’île reste très limité. L’Inquisition s’y installe et des Havanais suspectés de "judaïser en secret" sont poursuivis. Toutefois, Inés Isabel de Bobadilla , juive convertie, devient gouverneur de l’île de 1539 à 1543 lorsque son époux, Hernando de Soto, abandonne cette charge pour mener une mission d’exploration en Floride. Et durant tout le XVIIe siècle, des commerçants cubains d’origine juive tissent des liens avec les comptoirs séfarades à travers le monde et développent des relations privilégiées avec Amsterdam, Hambourg et New-York. Ce qui a été rendu possible lorsque le roi d’Espagne Philippe IV a accordé aux financiers "conversos", en 1628, la liberté pleine et entière de commercer et de s’établir. Et les positions se renforcent lorsque La Havane devient, au XVIIIe siècle, le grand marché aux esclaves de l’Amérique espagnole.
Si les premiers à s’installer à Cuba sont des séfarades se protégeant de l’antisémitisme institutionnel des royaumes européens, des communautés ashkénazes les rejoignent dès le milieu du XVIIe siècle pour fuir les pogroms de la Russie tsariste et la barbarie des Cosaques. Ce mouvement migratoire se poursuit jusqu’au XIXe siècles, renforcé par des Juifs arrivés des Antilles néerlandaises.

Guerres et indépendance

L’immigration des Juifs à Cuba s’accroit à partir de 1881, lorsque le gouvernement espagnol les autorise officiellement à quitter le territoire. De nombreux Juifs participent à la lutte pour l’indépendance de l’île au côté de José Martí, puis durant la Guerre d’indépendance cubaine et la Guerre hispano-américaine (avril à août 1898). On peut citer, entre autres, Eduardo et José Steinberg, membres du Club Issac Abrabanel de Key West (Floride), Horatio Rubens, avocat du Parti Révolutionnaire Cubain, Luis Shelly Schingel , le général Carlos Roloff, le capitaine Kaminski ou le major Schwartz.

Le traité de paix de Paris du 10 décembre 1898 offre une indépendance théorique, Cuba devenant en fait un protectorat américain durant plusieurs années, dans le cadre d’une "politique de bon voisinage". La Constitution cubaine de 1902 garantit la liberté religieuse et la législation discriminatoire contre les étrangers est peu à peu abolie, ce qui autorise les Juifs (jusqu’alors considérés comme étrangers) à profiter des avantages accordés aux détenteurs de fonds nord-américains. De nombreux vétérans des guerres d’indépendance s’installent dans l’île, dont des Juifs américains. On peut citer en exemple Frank Maximilian Steinhardt : sergent dans les troupes d’occupation en 1902, il est nommé consul général jusqu’en 1907, puis il fonde et dirige la Compagnie d’Electricité de La Havane, la Compagnie des Transports urbains et la brasserie Polar.

De la post-indépendance à la Révolution

En 1906 sont créés la première synagogue réformiste et le premier cimetière israélite. A cette époque, on dénombre environ 1 000 Juifs à Cuba. Mais, les expulsions des Juifs de Turquie et des Balkans augmente sensiblement la communauté et la première société sépharade est fondée en 1916. Après la Première Guerre mondiale, l’immigration se poursuit, aussi bien du côté des Sépharades (surnommés les "Turcos") que des Ashkénazes (les "Polacos"). Les premiers parlent essentiellement l’espagnol et le ladino, alors que les seconds utilisent le yiddish et lisent les textes sacrés en hébreu. En 1921, le Comité juif de Cuba est constitué et la United Hebrew Sheltering and Immigrant Aid Society, édifiée à New York en 1909, ouvre une représentation à La Havane en 1925.
Pour favoriser l’immigration juive européenne, une banque est créée. Une industrie juive se développe de manière importante à La Havane, principalement dans les domaines de la confection, de la restauration, de la chaussure et de la fabrication de meubles. En 1920, quelques familles tentent une expérience dans l’agriculture, mais c’est un échec. Par contre, les Juifs américains s’intéressent à la canne à sucre et au tabac et réalisent de grands profits dans l’import-export. En 1925, la population juive est estimée à 8 000 personnes : 2 700 Séfarades, 5 200 Ashkénazes et une centaine d’Américains. Pour beaucoup, Cuba ne devait représenter qu’une étape avant d’arriver aux Etats-Unis. Mais, les lois américaines sur l’immigration sont très strictes et le faible antisémitisme de l’époque les convainc de s’ installer dans l’île, à La Havane et dans les provinces de Pinar del Rio, Santa Clara, Matanzas, Camagüey et Oriente. Des écoles juives sont ouvertes à partir de 1924. Il existe aussi de nombreuses associations de jeunesse affiliées aux institutions communautaires. Si très peu de journaux juifs sont publiés et que les écrivains et poètes sont rares, on peut néanmoins citer N. D. Korman, Eliezer Aronowski, Pinchas Berniker ou Abraham Joseph Dubelman.
Les Juifs sont membres des syndicats de branches, principalement dans le meuble et la chaussure. Certains en deviennent des dirigeants. Désireux de participer à l’émancipation de la société cubaine, ils envoient des délégués à La Havane, en août 1925, au congrès national de constitution du Parti Communiste de Cuba. On peut citer les noms de Miguel Magidson, Félix Gurvitch, Carlos Wasserman, Yoshka Grinberg et Fabio Grobart . 1925 marque aussi le début du cycle des dictatures. Plusieurs Juifs communistes sont victimes du général Gerardo Machado, élu président de la république au mois de mai. Parmi eux, Noske Yalob, Bernardo Reinhardt, Berl Waxman, Isaac Hurvitz et Yankel Burstein.


2_ Le paquebot Saint-Louis

Le paquebot Saint-Louis

L’arrivée d’ Hitler au pouvoir, les menaces de persécutions nazies, la rébellion de Franco contre le gouvernement espagnol amènent 850 volontaires de l’île, et parmi eux de nombreux Cubains d’origine juive, à s’engager dans les Brigades Internationales, d’avril 1937 à février 1938. Pendant ce temps, à Cuba une campagne orchestrée par l’extrême-droite créole et financée par l’ambassade d’Allemagne pousse le gouvernement à adopter des lois anti-juives, dont l’interdiction faite aux réfugiés de séjourner sur le territoire. Les premières victimes sont les passagers du paquebot Saint-Louis. Parti de Hambourg et battant pavillon allemand, il transporte 937 Juifs. Leur destination devrait être Miami, mais le gouvernement cubain les a forcés à acheter des visas de transit. Pourtant, lorsqu’ils arrivent à Cuba, le 27 mai 1939, seuls 28 d’entre eux reçoivent l’autorisation de débarquer. Le 2 juin, le bateau doit quitter les eaux territoriales cubaines. Il se dirige vers Miami, mais les autorités américaines refusent à leur tour l’autorisation de débarquement, les quotas d’immigration ayant déjà été atteints. Le bateau retourne à Hambourg. La France, la Belgique, les Pays-Bas et la Grande-Bretagne acceptent d’accueillir les réfugiés. Durant la guerre, il semblerait que seuls les 287 personnes débarquées en Angleterre aient pu échapper à l’Holocauste. Si ce paquebot est très connu, principalement grâce au film Le Voyage des damnés tourné en 1976 par Stuart Rosenberg, d’autres ont vécu pareille mésaventure à la même époque.
Pourtant, tout au long de la Seconde Guerre mondiale, Cuba accueille plus de réfugiés qu’aucun autre pays d’Amérique latine. Parmi eux, des Juifs anversois débarquent à La Havane et y développent le négoce des diamants. En 1943, 24 ateliers fonctionnent, employant un millier d’ouvriers. Pour faire face aux arrivées massives, la communauté juive se dote de nouvelles structures. Un Comité Central, réunissant toutes les associations, est créé fin 1939 et reconnu par les autorités comme organisme représentatif. Si, durant la guerre, on estime que 24 000 Juifs ont pu vivre à Cuba, une grande partie émigre vers les Etats-Unis après le conflit. En 1952, le nombre de Juifs vivant à Cuba est descendu à 12 000. Ils fondent plusieurs organisations : le Patronato de la Casa de la Comunidade Hebrea, en 1953 ; la Comunidade Religiosa Hebrea Hadath Israel, en 1956 ; le Centro Hebreo Sefaradi de Cuba, en 1957.

De la Révolution à la disparition de l’URSS

Castro débarque en décembre 1956 à Cuba et lance la guérilla dans la Sierra Maestra avec Ernesto "Che" Guevara. Les troupes rebelles entrent dans La Havane fin décembre 1958 et le DrManuel Urrutia Lleó devient président de la république.


3_ Débarquement des révolutionnaires à Cuba en décembre 1956

Débarquement des révolutionnaires à Cuba en décembre 1956

Le triomphe de la Révolution est favorablement accueilli par une majorité de la communauté juive. Plusieurs de ses membres sont des cadres du Parti Socialiste Populaire (qui a remplacé le Parti Communiste Cubain) et du Mouvement du 26 Juillet (le mouvement révolutionnaire de Castro), comme Victor Sarfati, Maximo Berman (qui devient ministre du Commerce Extérieur du gouvernement Urrutia), Enrique Oltuski (nommé ministre des Communications) ou Ricardo Subirana y Lobo (ambassadeur de Cuba en Italie et en Israël sous le nom de Ricardo Wolf). Malgré tout, la réforme urbaine, la nationalisation des entreprises et la collectivisation des écoles privées lèsent de nombreux Juifs et provoquent, à partir de 1960, l’exode de près de 90% de la communauté, principalement vers les Etats-Unis et Israël. En 1965, la population juive est réduite à 2 500 personnes, en 1970 elle ne compte plus que 1 500 membres.
Bien que la Révolution cubaine n’ait, en réalité, jamais donné de signe d’antisémitisme, durant les trois décennies suivantes les religions sont condamnées au nom de "l’athéisme scientifique", les croyants subissent des discriminations et les rabbins émigrent. On doit, néanmoins, préciser que le régime castriste a toujours entretenu des relations ambiguës avec les Juifs, les traitant avec respect en tant qu’individus et représentants d’une communauté spécifique. Ils peuvent, par exemple, se procurer de la viande casher ou acheter de la nourriture particulière lors des fêtes. Et l’Agence Juive, mouvement sioniste entretenant des liens étroits avec Israël, n’a jamais été interdite. Mais, la politique tiers-mondiste du gouvernement est ouvertement anti-israélienne. Des ouvrages de propagande sont publiés et des livres d’auteurs juifs, interdits. Castro soutient les revendications du Peuple palestinien, rompt les relations avec l’Etat hébreu en 1973 et autorise la mise en place de camps d’entraînement de Fedayins sur le territoire.

Vers une renaissance

Si le soutien de l’Union Soviétique et la participation au COMECON ont permis de faire face pendant longtemps à l’embargo mis en place par les Etats-Unis en 1962, la situation économique devient très difficile après la chute du mur de Berlin et le démantèlement de l’URSS. En 1992, les échanges avec les pays de l’ex-COMECON représentent moins de 7% du niveau de 1989 et le PNB cubain chute de plus de 35%. En 2012, le salaire moyen mensuel n’est que de 455 pesos, soit 19 dollars. Pourtant, la gratuité de la santé et de l’éducation n’a jamais été remise en cause. Pour faire face à la crise, le gouvernement cubain commence à libéraliser son économie et à développer le tourisme. Il crée aussi, avec plusieurs pays de la région, l’Alternative bolivarienne pour les Amériques. De leur côté, les Etats-Unis assouplissent l’embargo. L’île reçoit également d’importants subsides indirects de Cubains exilés qui envoient régulièrement de l’argent à leur famille ou aux amis.


 4_ La synagogue Beth Shalom

La synagogue Beth Shalom

Il faut attendre la fin des années 80 pour constater un certain réchauffement dans les relations israélo-cubaines. L’amélioration de la situation entraîne un renouveau du judaïsme dans l’île. En février 1989 est créée l’Organizacion Juvenil Hebrea de Cuba, qui a pour but d’apprendre à la jeune génération de Juifs cubains à retrouver son identité. Par la suite, d’autres institutions se mettent en place ou se redynamisent, des gens se convertissent au judaïsme et des "Juifs non juifs" (expression cubaine désignant des personnes qui revendiquent la Révolution plutôt que la religion) reviennent vers leurs racines. En 1992, la Constitution cubaine est amendée et la pratique des religions est à nouveau autorisée. En 1998, Alberto Behar , natif de Cuba, officie pour la première fois depuis 40 ans dans la synagogue de La Havane. Depuis cette époque, des rabbins viennent régulièrement diriger des prières.


5_ Le président Raul Castro à la synagogue Beth Shalom en décembre 2010

Le président Raul Castro à la synagogue Beth Shalom en décembre 2010

Les 1 500 membres de la communauté nécessitent un soutien, car ils vivent dans les mêmes conditions de pauvreté que leurs compatriotes. De nombreuses organisations se sont mobilisées, parmi lesquelles l’American Jewish Joint Distribution Committee ou des sections internationales du B’nai B’rith. Des associations ont aussi été développées sur place, comme Hadassah Cuba, qui assure des soins et mène des campagnes de prévention. Mais, les Juifs cubains ne sont pas les seuls à participer au renouveau du judaïsme dans l’île. Si, en raison de l’embargo, les Américains ne sont toujours pas autorisés à voyager à Cuba à moins d’y avoir des liens de famille ou d’en être originaires, des dérogations sont accordées pour motifs universitaires ou religieux. On note donc un afflux régulier de touristes juifs américains, ce qui permet de considérer que la communauté est devenue un pont entre l’île et les USA.

Sources:

Sites internet :


Nous rappelons à nos adhérents et nos visiteurs que tous nos fichiers sont protégés par un copyright Que toute information ponctuelle transférée à l’extérieur doit l’être avec la référence à GenAmi.