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La saga des Marcus

La saga des MARCUS

par Micheline Gutmann

Extrait de GenAmi n° 32

 

La recherche commence en France

Le premier Marcus est arrivé à Paris en 1885 venant du gubernia (région administrative) de Lomza en Pologne du nord-est. Bernard, initialement Berko, en hébreu Dov Ber, né à Stawiski (Pl) en 1855, fils de Boruch et de Sarah Kelman son épouse, également de la région, plus précisément de Kolno et s'appelant aussi Marcus. Ils avaient alors deux enfants qui apparaissent dans l'acte de naturalisation : Joseph, l'aîné, mon grand-père, et Levin, tous deux nés à Pisz, actuellement en Pologne, qui s'appelait alors Johannisburg en Prusse orientale, respectivement en 1879 et 1880. Les autres enfants, Maurice (Moise), David, Alexandre (mort en bas âge), Jacques, un premier puis un deuxième Isaac (père de notre administrateur Claude Marcus), sont nés à Paris 4e.

 
 
 

Bernard et Anna Marcus et leurs 6 fils, Paris environ 1895
 

Bernard Marcus était shoret (sacrificateur) d'abord pour la communauté polonaise puis dès 1893 employé par le Consistoire, qui lui fournit un logement provisoire, 11 place des Vosges, plus décent probablement que les différents logements habités depuis son arrivée.
Cette information provient du dossier de naturalisation, demandée dès 1889, obtenue en 1896. Ces dossiers peuvent fournir de précieuses informations, c'est par là qu'il faut toujours commencer après avoir rassemblé les premières informations familiales.
Dans ce dossier, se trouve un acte de notoriété signé par le grand rabbin Zadoc Kahn, certifiant le mariage religieux du couple à Johannisburg le 2 mai 1878 ; également un témoignage de Beer Gruenstein présent à Johannisburg à la naissance de Joseph.

 

 
 
 

Document signé par Zadoc-Kahn
 

 

Bernard demande une remise totale des droits qui est accordée. Ses parents seraient encore vivants à Stawiski, il aurait trois frères à Varsovie (dont je n'avais jamais entendu parler). Il a effectué son service militaire dans son pays. En 1885, son salaire est de 2000 F/an et son loyer de 600 F. Il paye 30 F de contributions. A partir de 1893, il est employé aux abattoirs de la Villette pour le Consistoire.

Les Dimson, branche anglaise

Une information ne se trouvait pas dans ce dossier de naturalisation mais je l'ai obtenue par ma grand-mère alors âgée de 92 ans : mon arrière-grand-père Dov Ber avait une sœur mariée à un certain Dimson en Angleterre, qui avait des neveux . L'un d'entre eux avait épousé une Frumkin et le couple aurait eu des enfants en Israël. Ce fil bien ténu s'est révélé solide. J'ai misé sur le fait qu'il pouvait s'agir de la famille d'Arye Leib Frumkin, fondateur de Petah Tikwa. Par un lecteur de mon message sur Jewishgen, j'ai pu avoir l'adresse du directeur du Musée Frumkin, Daniel Ophir, qui m'a adressée à David Dimson habitant Londres, fils de Rachel Frumkin, la plus jeune fille d'Arye Leib. Il avait 88 ans en 1996. Les retrouvailles ont été uniquement épistolaires mais chaleureuses. David m'a envoyé des lettres traduites de l'hébreu que lui avaient envoyées son oncle Dov Ber, pour qui il avait un énorme respect, car c'était un sage et un lettré. J'ai découvert cette personnalité totalement inconnue pour moi, car notre a rrière-grand-père avait la réputation d'être très rigide alors que son courrier reflète une grande sensibilité. David a connu toute la famille Marcus de Paris avant la guerre de 1939-45.
Les enfants de David Dimson (fils de Zachariah Dimovitch) et de sa femme, Frumet Heilpern, qui a été professeur de français, sont Chalva Jessica Weil, historienne en Israël, et Elroy, célèbre professeur d'économie à Londres.

 
 
 

Rachel et Zachariah DIMSON
 
Feiga et Jacob DIMOVITZ
Samuel et david DIMSON
        

 

Mon arrière-grand-père était d'une grande rigueur religieuse, au point que ses enfants ne pouvaient faire d'études sérieuses puisqu'ils ne pouvaient aller à l'école le samedi.. Il s'est fâché avec son fils David qui ne respectait pas la casherout, c'est pourquoi nous n'avons aucune photo de lui.

Joseph, mon grand-père, était un passionné d'histoire de France et un artiste ; son vrai métier était sculpteur sur bois, métier qu'il a le moins exercé parmi tous ceux qu'il a essayé. Peu doué pour le commerce (cela existe parfois chez les Juifs), il a passé les cordons de la bourse à sa femme, née Adèle Sidlowski. De son passage en tant qu'antiquaire, il nous reste cependant quelques beaux souvenirs.

 
 
 

Mariage de Joseph Marcus et Adèle Sidlovski
 

Le couple a eu deux fils, Georges, le plus jeune né en 1907, qui a eu 3 enfants, et mon père Robert, né en 1906. Quand l'institutrice leur a dit que leur enfant était très brillant, qu'il devait aller au lycée et faire des études supérieures, ils ont accepté avec fierté. Mon père est devenu ingénieur ECP. Il a payé ses études en construisant des postes de radio. Il s'est marié, a eu 3 filles, la dernière née en 1940 lors d'une permission. En effet, il était officier et a été mobilisé dans l'artillerie : il a fait la campagne de France dans la Deuxième armée et malgré toute l'énergie qu'il a déployé pour combattre l'ennemi, il a été fait prisonnier au sud de Nancy. Il a reçu la croix de guerre avec palmes. Malheureusement, comme il le raconte dans un journal écrit dans ses premiers jours de captivité, cette guerre a été lamentable. On ne peut imaginer la désorganisation de l'armée, la lâcheté des supérieurs au milieu de la fuite des populations. Après trois semaines au camp de la Malgrange, près de Nancy, il a été enfermé à la prison de Colditz puis emmené à Munster (Allemagne) et finalement en 1942 à Lubeck, Oflag XC, camp de représailles pour officiers Juifs mais ils ont été rejoints par de nombreux Polonais. Libéré par les Ecossais le 13 mai 1945, mon père est arrivé à Paris. Sa vie est repartiede zéro dans le commerce de la fourrure avec son épouse, après une totale spoliation.
Ils sont morts tous les deux à quelques mois d'intervalle en 1977 et 1978. Ils n'ont pas connu leur cinquième petit-enfant.

Nota : Robert Marcus a écrit le journal de sa campagne de 1940, un document d'une grande valeur historique. Il a été informatisé et sera un jour proposé à nos adhérents intéressés.
Voir le chapitre " Hommage à Robert Marcus "

Levin, né en 1880, est mort, tué à Verdun en 1916.
Moise-Maurice, joailler, a épousé Henriette Moisi, ils n'ont pas eu d'enfants.
David a été déporté en 1943 avec sa femme Esther Polcow et son fils Raymond qui avait 18 ans.
Jacques a passé outre les interdictions familiales et est devenu avocat. Marié à Germaine Nathan (née à Ostende), ils ont eu un fils mort accidentellement en 1951 à l'âge de vingt ans.

 
 

Jacques Marcus

Isaac-Jack Marcus

Isaac, appelé aussi Jack, marchand de meubles, est né en 1893. Il était aussi sculpteur amateur. Il avait épousé en 1921 Louisette Bleustein, une sœur du célèbre publicitaire Marcel Bleustein-Blanchet. Leur fils Claude est né en 1924.
En 1944, Claude avait réussi à joindre Alger où se trouvaient déjà de nombreux cousins et s'est engagé dans l'armée française. Il fut affecté comme interprète auprès d'une unité américaine, la 12e Tactical Air Command. Il fut envoyé à Naples et après maintes péripéties, il débarque le 18 août 1944 à Ramatuelle (Var) sur la plage de Pampelone. Il apprend peu après l'arrestation des ses parents à Pau. Ils ont été déportés à Auschwitz par le convoi 74.
Claude effectua toute la campagne de France avec le 12e TAC puis avec le 1er Corps aérien français. Avec le général Girardot, il franchit le col de la Saale puis se dirige vers Issenheim, Colmar et Strasbourg, participant ainsi à leur libération.
Démobilisé en tant qu'étudiant en septembre 1945, il bénéficia de sessions spéciales pour ancien combattant et passa une licence puis un DES de droit en 1946.
Claude s'est marié en 1948 avec Claudine Pohl, interprète à l'O.C.D.E.. Lui-même est entré dans la publicité aux côtés de son oncle dont il a été le bras droit pendant de longues années. Il a occupé les postes de directeur général de Publicis puis de président de Publicis International. Il a été membre du Conseil national de la consommation et il a présidé, de 1980 à 2004, la concertation entre les organisations de consommateurs et la profession publicitaire.
Quelques mots sur sa famille maternelle : trois des sœurs de Marcel et de Louisette Bleustein-Marcus ont épousé trois frères Lévitan, propriétaires des fameux meubles " garantis pour longtemps ". C'est Louisette qui a favorisé le mariage de mes parents qui par ailleurs ont été très amis avec Marie et Nathan Lévitan.
Abraham Bleustein, le père de Marcel et de Louisette, né près de Sékolé, était arrivé en 1882. Ses parents étaient marchands de poissons, comme sa sœur à son arrivée à Paris. Employé de commerce, il épouse la fille de son patron, Elise Gross dont le père Léon est né à Grodno.
Claude a eu quatre enfants et dix petits-enfants. Une belle revanche sur ceux qui voulaient éteindre à jamais sa famille !

 

La recherche en Pologne

Le nom Marcus, nous l'avons expliqué dans GenAmi n° 26, a été adopté partout sur notre continent. En Europe de l'Est, il découle directement du prénom hébreu Mordekhay.
Dans une recherche généalogique, l'une des premières choses à faire est de localiser le lieu d'origine. Où se trouvent Stawiski et Kolno, villes natales de nos Marcus ? Elles sont faciles à trouver sur une carte. Situées au nord-est de la Pologne, Kolno a été pendant longtemps le chef-lieu du gubernia, bien avant Lomza. Stawiski s'est développée avec la construction de la voie ferrée de Moscou à Varsovie.
De nombreuses informations sur l'histoire de ces villes et des communautés juives se trouvent dans les livres de la mémoire (Yiskor books), la plupart du temps écrits en hébreu ou en yddish par les rescapés de la shoah. Certains ont été traduits au moins partiellement en anglais. Voir les sites :
http://www.jewishgen.org/yizkor/kolno/kole007.html
http://www.jewishgen.org/Yizkor/stawiski/stawiski.html

Depuis des années, je suis abonnée au journal " Landsmen " spécialisé dans les deux régions de Suwalki et de Lomza, réalisé par Marlene Silvermann. Les rédacteurs indexent des microfilms des Mormons, recherchent constamment de nouveaux documents. Par exemple des listes de toutes sortes (immigrations, médecins, conscriptions) arrivent des archives de Vilnius. J'ai contribué avec deux recherches, l'une à partir des mariages de la fin du 19e siècle au Consistoire, l'autre en extrayant les informations du dictionnaire bruxellois de Claude Geudevert. Bien entendu, il était nécessaire de connaître les noms des villes de la région. A force de lire " Landsmen ", j'ai fini par les connaître presque toutes.
Cependant, pour nos Marcus, nous n'avons pas de chance. En effet, aussi bien pour Stawiski que pour Kolno, aucune liste n'a encore été trouvée. De temps en temps, on repère des mariages dans des villes voisines. Ainsi était un jour cité un Boruch, fils de Mordekhai de Stawisky.
Dans les immigrations par le port de Hambourg vers les USA, liste de Marlene Silvermann, j'ai également vu un Baruch Marcus de Stawiski, âgé de 50 ans, qui a pris le " Minerva " pour New York, le 30 mars 1872. Exactement l'âge qu'aurait eu le père de Bernard. Avec lui, pas de famille, mais deux hommes de Stawiski âgés 18 et 27 ans. Je n'ai pas réussi à savoir ce qu'il était devenu.
Ce qu'on peut trouver, ce sont quelques photos anciennes qui donnent une idée de l'ambiance d'autrefois. Merci à notre adhérent Gérard Silvain qui nous en a envoyé quelques unes et que nous publions avec son autorisation.

 
 

Photo de Kolno

Photos de la synagogue de Stawiski